Chers tous,
Je voulais partager avec vous le mail que j'ai envoyé à mes collègues avant ma reprise de travail. J'ai la chance d'évoluer dans un milieu bienveillant mais je voulais désamorcer certaines choses avant mon retour pour conseiller les gens car ils sont souvent démunis face à ce que nous vivons. J'ai passé du temps à l'écrire et je voulais vous le partager pour vous donner des idées, qui sait. J'y ai volontairement inséré une dose d'humour car je ne voulais pas de quelque chose de très solennel. Bonne lecture.
"Chers collègues,
J'espère que vous allez tous bien. Comme X vous l'a annoncé je reviens demain au bureau en mi-temps thérapeutique.
Je sais que mon retour peut susciter peut-être chez vous certaines appréhensions car on ne sait souvent pas quoi dire face à une personne qui vient de perdre son enfant et je vous rassure il n'y a pas de mots face à cette épreuve de la vie c'est souvent l'écoute qui importe le plus. Je tenais à vous dire que je suis restée la même, je suis juste plus écorchée forcément.
X m'a également dit que vous aviez envisagé avant le confinement de faire venir une association en deuil périnatal pour trouver les mots et la bonne attitude et je tenais à vous remercier pour cette douce intention à mon égard, j'ai été vraiment très touchée.
Alors rien ne remplacera l'intervention d'une spécialiste mais moi qui vit cette perte depuis maintenant 6 mois je peux vous donner quelques indications pour que les choses puissent se faire le plus naturellement possible car je ne veux pas de malaise.
La perte d'Alice n'est pas pour moi un sujet tabou. Ma petite Alice, ma merveille, fait à jamais partie de ma vie. C'est ma deuxième fille et cela le restera. J'aime parler d'elle et qu'on vienne m'en parler. J'aime entendre son prénom et je veux continuer à le prononcer. Sinon on va devoir en plus demander à Alice de changer de prénom et je suis pas sûre qu'elle accepte 😉. (J'ai une collègue qui s'appelle comme ça).
Le deuil périnatal est un deuil particulier c'est le deuil d'un futur qu'on aura pas avec son enfant. Pendant 9 mois on prépare sa venue, on se projette dans une vie avec lui et du jour au lendemain on doit apprendre à vivre sans lui. Notre tête elle ne s'arrête pas à la date de sa mort elle se projette sans cesse dans ce futur qu'on aura pas. Ce qui rend les choses difficiles. Quand on perd un être cher on se raccroche aux souvenirs précieux qu'on a avec lui dans notre cas nous avons très peu de souvenirs et ceux que nous avons sont malheureusement la plupart du temps emplis de douleurs.
Les gens ont la profonde conviction que la meilleure chose à faire dans notre cas est de ne pas en parler car cela ravive la douleur, cela va nous faire y penser. Alors je vous rassure vous n'allez rien raviver du tout puisque d'une j'y pense déjà tout le temps et de deux cette douleur fait désormais partie de moi. Je peux être émue c'est normal mais cela ne veut pas dire qu'il faut appeler le G.I.G.N, cette situation peut se désamorcer facilement 😉.
Chaque 27 et 11 du mois sont des dates difficiles à passer pour moi alors je serai moins en forme mais toujours debout comme dirait Renaud.
Certaines personnes sont plus à l'aise que d'autres pour parler de ce que j'ai vécu et je sais aussi que cela fait remonter des peurs et parfois des souvenirs très personnels alors je respecterai le ressenti de chacun mais je vous demande juste une chose ne pas faire comme s'il ne s'était rien passé et comme si je revenais de longues vacances car justement il s'est passé quelque chose j'ai perdu mon enfant à jamais. Vous avez le droit d'être désolés de ce qui m'est arrivé et vous avez le droit de me le dire, c'est banal oui mais ça fait du bien de l'entendre. Comment vas tu aujourd'hui ? Comment as-tu fait pour traverser ça ? Comment était Alice ? A qui elle ressemblait ? Comment va votre grande ? Et vous ? Ou un simple je suis content(e) de te revoir ou pas d'ailleurs. Voici quelques pistes 😊.
Le dernier conseil et le plus important à retenir est d'agir naturellement avec moi. Je ne veux pas de malaise, de regards baissés... Je le vis déjà assez au quotidien et c'est dur car je n'ai pas de maladie contagieuse j'ai juste perdu un enfant. Alors oui ça fait peur, oui cela arrive encore de nos jours mais promis ce que j'ai eu ne se refile pas.
Voici un petit florilège des remarques que j'ai pu entendre (100% vérifiées) et qui sont à bannir : "vous êtes jeunes vous en aurez d'autres", "C'est mieux qu'elle meurt maintenant que plus âgée", "Je ne pensais pas que vous vous étiez autant attachés", "il n'y avait vraiment rien à faire pour la sauver ?", c'est peut être mieux comme cela", "il faut en faire un autre ça aide à oublier"... No comment. Et si un jour vous basculez vous aussi du côté obscur de la force no stress, il y a un truc formidable qui existe et qui s'appelle les excuses 😋.
Merci pour votre longue lecture et surtout ne stressez pas si vous n'avez pas les mots, vous aurez l'écoute 😉. Merci d'être sensibles à ce que j'ai vécu et je vis, merci pour votre empathie et votre bienveillance sachez qu'elles me touchent et m'aident énormément. "Comme dirait Balou il en faut peu pour être heureux".
Je vous ai trouvé une petite vidéo qui peut vous aider si jamais vous ne souhaitez pas lire ce long mail.... oups j'aurai peut être dû la mettre au début 😅 :
https://www.danscesmomentsla.com/30-phrases-qui-peuvent-faire-du-bien.htmlMerci à tous et j'ai hâte de vous revoir tous très bientôt.
Je vous embrasse façon COVID-19.
A demain
Yolande